HISTORIQUE ET CLASSIFICATION DES DIALECTES GERMANIQUES
Les peuplades qui parlaient des dialectes germaniques habitaient vers l'an
1000 avant notre ère le Nord de l'Europe jusqu'aux cours inférieurs
de la Weser et de l'Oder. Ces dialectes appartiennent au grand ensemble des
langues indo-européennes qui comprend notamment l'hindou, l'iranien,
l'arménien, l'albanais, les langues slaves, le grec, les langues romanes
(dont le français) et les langues celtiques (l'irlandais, le breton...).
Traditionnellement, ces dialectes germaniques sont repartis en 3 groupes principaux
selon l'espace géographique où ils étaient pratiqués
avant les Grandes Migrations (les "Invasions barbares" de
nos vieux manuels d'histoire) :
- I. l'ostique qui comprenait les idiomes des Goths, des Vandales
et des Burgondes ;
- II. le nordique, qui groupe les dialectes dont sont issues
les langues scandinaves ;
- III. le westique, subdivisé en 3 groupes :
* 1. le germanique de la mer du Nord,
ou ingvéonique : anglo-saxon (vieil anglais), vieux-frison, vieux-bas-francique
;
* 2. le germanique de l'Elbe qui
comprend les parlers des Langobards, Semnones, Bavarois, Alamans, Quades ;
* 3. le germanique de la Weser et du
Rhin : parlers des Cattes (Hesses) et des Francs.
Au VIe siècle, un changement apparaît
dans la façon de prononcer les consonnes. C'est la 2e
mutation consonantique, appelée également mutation
consonantique haut-allemande. Venue du sud, sans doute entre le Pô et
l'Adige où de nombreux dialectes westiques et ostiques se côtoyaient,
elle s'est plus ou moins propagée vers le nord. Les dialectes du sud,
dans lesquels la mutation est fortement ressentie, sont qualifiés de
haut-allemand. Les dialectes du nord, n'ayant pas été
atteints, ont conservé leur consonantisme westique et sont dénommés
bas-allemand. Entre les deux zones se situent les langues moyen-allemand.
C'est ainsi que l'on observe aujourd'hui encore les doublets suivants bas-allemand/haut-allemand
: pepper/Pfeffer, help/ helfen,
sharp/scharf, ten/zehn, ship/Schiff,
white/weiß, book/Buch, apple/Apfel,
sit/sitzen.
Bas-allemand | tid | maken | punt | appel |
Moyen-allemand | zeit | machen | punt | appel |
Haut-allemand | Zeit | machen | Pfund | Apfel |
Entre le VIIIe
siècle et le XIe siècle,
les langues westiques se distribuent ainsi en deux grands ensembles :
un ensemble ingvéonique, avec le groupe anglo-frison
(anglo-saxon et vieux-frison) et le groupe bas-allemand (vieux-bas-francique
et vieux-saxon)
un ensemble haut-allemand (vieux-haut-allemand), avec un groupe
allemand supérieur (alémanique et bavarois-autrichien) et
un groupe allemand moyen, ou groupe francique (vieux-moyen-allemand,
ou vieux-francique).
C'est ce groupe francique
qui nous intéresse plus particulièrement. Le terme de francique
nous vient des linguistes allemands du XIXe siècle.
Fränkisch qualifie initialement ce qui est en rapport avec les
Francs. Il signifie également "franconien", c'est
à dire "de Franconie". Nous reviendrons plus loin
sur les rapports entre les langues franciques et les Francs.
Dans le groupe des langues franciques, les linguistes ont pu individualiser
quatre langues pour la période du VIIIe au XIe
siècle (Histoire de la langue allemande, de RAYNAUD) :
le francique
moyen, parlé sur les rives de la Moselle et du Rhin moyen, autour
de Trèves, de Coblence, de Cologne ; témoins en sont une version
interlinéaire du psautier, le Capitulaire de Trèves, des recueils
de glose et, au Xe siècle, De Heinrico ;
le francique rhénan, parlé autour de Spire,
Worms, Lorsch, Mayence, Francfort ; les Serments de
Strasbourg de 842 sont rédigés dans cette langue , ainsi
qu'une traduction d'Isidore de Séville et le Chant de Louis ; elle
était la langue maternelle de Charlemagne. L'influence du francique
rhénan sur les dialectes de l'allemand supérieur est prouvée
;
le francique rhénan méridional (ou francique rhénan
palatin), parlé au Nord de l'Alsace ; il nous est transmis par le Livre
des Evangiles d'Otfrid, premier poète allemand dont nous connaissons
le nom, et par le Catéchisme de Wissembourg ;
le francique oriental, parlé dans les régions
autour de Wurtzbourg et Bamberg ; mais c'est aussi la langue de l'abbaye de
Fulda ; elle nous est parvenue dans une traduction de Tatien, dans une paraphrase
du Cantique des Cantiques et dans quelques autres textes religieux ; certains
auteurs (Zapp, 1993) intègrent le francique oriental à l'allemand
supérieur et non au moyen allemand.
Les philologues du XIXe siècle ont choisi de prendre pour base de l'étude du vieux-haut-allemand le francique oriental tel qu'il se présente dans le Tatien, uvre écrite vers 825 dans l'abbaye de Fulda. C'est un dialecte littéraire qui ne correspond pas au dialecte parlé dans la région. Linguistiquement, on cherchait à rapprocher les dialectes.
Du XIe
au XIIIe siècle,
les dialectes haut-allemands entrent dans la période dite du
moyen-haut-allemand. Au XIIe siècle,
ils sont parlés à l'est et au sud de la Meuse jusqu'à
une ligne qui va de Liège à Belfort en passant par Malmédy,
Luxembourg, Thionville, Metz, la crête des Vosges, avec plusieurs vallées
sur leur pente occidentale, et le Sundgau. Dans la Vieille Allemagne (l'Altreich),
les dialectes se sont maintenus jusqu'à ce jour à peu près
dans les mêmes limites qu'ils se sont créés à l'époque
du moyen-haut-allemand.
Les dialectes vieux-franciques ont évolué en deux groupes moyen-franciques
:
le groupe francique moyen, subdivisé en francique
ripuaire (nord de l'Eifel, régions d'Aix-la-Chapelle et de Cologne)
et en francique mosellan (nord du Hunsrück, régions de
Trèves et de Coblence) ;
le groupe francique supérieur, subdivisé en francique
rhénan (Palatinat, Bade du Nord, Hesse) et en francique oriental
(au sud du Neckar jusqu'à la limite de l'alémanique).