Durant la Guerre de Trente Ans, le "bailliage d'Allemagne" (4300 km², zone germanophone du duché de Lorraine) perd 80% de sa population. Le repeuplement par des Picards et des Vermondoisiens fera reculer le platt. C'est ainsi que vers 1500, le platt était parlé à Boulange, à Lommerange, à Hagondange, à Charleville-sous-Bois, à Château-Bréhain, à Maizières-lès-Vic, à Hattigny. En 1885, Tressange, Serémange, Bousse, Aboncourt, Varize, Suisse, Bénestroff, Rhodes, Abreschviller se retrouvent du côté roman de la frontière linguistique.

Le Bureau européen pour les langues moins répandues estime qu'en 1990 la France devait compter 40 000 luxembourgeophones et 175 000 autres plattophones (cet organisme individualise en Lorraine deux langues régionales : le luxembourgeois et le lorrain).

357 des 716 communes de Moselle sont situées de nos jours au-delà de la frontière linguistique, dans la zone platt, qui occupe une aire de 3000 km² soit plus de la moitié du département.

L'isophone p/pf sépare à l'est les parlers moyen-allemands de l'aire dialectale haut-allemande. Cette limite passe par Wissembourg et Phalsbourg. On trouve ainsi de part et d'autre de cette ligne (Philipp, 1977) :

à l'ouest
à l'est
pincer
phetse(n)
pfetse
siffler
pheifen, pife(n)
pfife


On distingue schématiquement deux groupes de parlers germanophones en Moselle : les parlers situés à l'ouest de la ligne das/dat (qui passe entre Faulquemont et Saint-Avold) constituent le mosellan, ceux de l'est appartenant au rhénan. Il n'est pas possible cependant de délimiter de façon précise un type dialectal, chaque mot révélant d'autres aires et d'autres limites quand il est cartographié selon la géographie de sa prononciation.

Habituellement, on définit cependant trois groupes dialectaux en Moselle germanophone : les parlers rhénans de Moselle-Est (Bitscherland et Bassin Houiller), les parlers mosellans du Pays de Nied, et les parlers mosellans occidentaux (= luxembourgeois) du Pays Thionvillois.

Guelen avait présenté un schéma identique, en nommant les trois groupes : lorrain de la Sarre (Saarlothringisch), lorrain de la Nied (Niedlothringisch) et lorrain mosellan occidental (Westmosellothringisch).

Il s'agit évidemment d'un découpage arbitraire à but descriptif, car on relève d'est en ouest une progression dialectale régulière (à part pour la zone Hayange-Nilvange, où l'on rencontre des locuteurs d'un dialecte proche de l'alémanique).

De même que l'aire du mosellan peut être schématiquement divisée en zone des parlers luxembourgeois (Pays Thionvillois et Siirkerland : Thionville et Sierck, Pays des Trois Frontières) et en zone des parlers mosellans proprement dits (Pays de Nied : Boulay-Bouzonville), l'aire du rhénan peut être grossièrement présentée en trois ensembles :
- Saint-Avold - Faulquemont
- Bitche - Sarreguemines : Bitscherland
- Sarrebourg - Phalsbourg.
Certains auteurs divisent le rhénan en quatre ensembles :
- Saint-Avold - Faulquemont,
- Pays de Bitche,
- Sarreguemines - Forbach - Puttelange,
- Sarrebourg - Phalsbourg.

A Sarreguemines comme à Phalsbourg le platt est apparenté à l'alémanique.

Follmann a noté que si les dialectes de Moselle, classés parmi les langues du moyen-allemand occidental ( = "francique"), en ont le consonantisme, ils présentent cependant un vocalisme aux particularités alémaniques même autour de Thionville.

Le tableau ci-dessous présente la prononciation de taub et de lachen :

THIONVILLE - SIERCK
dååf, daaf
laaxen
PAYS DE NIED
dåu
laxen
St AVOLD - FAULQUEMONT
doi
lcxen
BITSCHERLAND
tååp
låxen
SARREBOURG - PHALSBOURG
tååp, taap, taup
låxen


voyelle double : voyelle longue
å : a vélaire
c : o ouvert
x : [x] de lachen

La carte de taub structure relativement bien le domaine moyen-allemand de Moselle selon les 5 zones décrites précédemment :

linguistes
Guelen
das/dat
Bureau européen
taub

THIONVILLE - SIERCK

francique luxembourgeois
luxembourgeois (mosellan occidental)
lorrain mosellan occidental
mosellan
luxembourgeois
luxembourgeois
PAYS DE LA NIED
francique mosellan
mosellan
lorrain de la Nied
mosellan
lorrain
mosellan de la Nied
ST-AVOLD - FAULQUEMONT
francique rhénan
rhénan
lorrain de la Sarre
rhénan
lorrain
St-Avold - Faulquemont
BITCHE
francique rhénan
rhénan
lorrain de la Sarre
rhénan
lorrain
Bitche
SARREB.PHALSB.
francique rhénan
rhénan
lorrain de la Sarre
rhénan
lorrain
Sarrebourg - Phalsbourg


Dans le Bitscherland, les d et t intervocaliques sont affaiblis en r ou l, comme à Francfort, au Palatinat et en Hesse.

Dans la zone Saint-Avold - Faulquemont, les voyelles a, e, e, i, o, u sont nasalisées (mais pas ö ni ü). En outre, b existe en finale, alors que ce n'est pas le cas ailleurs en Moselle.

Dans le Pays Thionvillois, la voyelle atone (le e de Boden par exemple) est plus ouverte, prononcée e voire a. En intervocalique, p, t et k peuvent être longs. L est vélaire, presque comme en anglais (sauf à l'initiale) et non latérale alvéolaire.

"Je vois que tu es resté le vieux bougre que tu as toujours été" se dit, dans la région de Sierck-les-Bains (à Russange) : ech gesingen, du bass nàch steïdech den alen Daivel déschde steïdech wôrs ; mais dans la région de Bouzonville (à Teterchen), pourtant pas très éloignée : ich gesinn, de béscht émma noch da alt grujjlich Kerl, wo de émma noch wahscht. Et autour de Saint-Avold et Faulquemont : ich gesinn, de bischd imma noch da schrecklich Minsch, wuh de wahrschd (rapporté par Guelen, 1939).

Le luxembourgeois a rejoint en 1825 le cercle restreint des langues écrites. Un arrêté ministériel du Grand-Duché a codifié son orthographe en 1975. Enfin, il est devenu langue officielle de cet état en 1984. Il n'est cependant pas pris en compte au niveau universitaire.

La grammatisation des langues du monde a changé l'écologie de nombreuses langues, qui sont devenues langues de culture, standardisées et indépendantes des variations locales des langues orales.

C'est ainsi que la langue luxembourgeoise, officielle et littéraire, diffère des parlers mosellans occidentaux non écrits dont elle est issue et qu'elle influence de nos jours.

Selon Marthe Philipp, il serait difficile de créer de nos jours une langue commune, intelligible de tous les dialectophones mosellans.

"Le francique se maintient différemment selon les zones, voire différemment à l'intérieur des zones linguistiques. La simple analyse du maintien de la langue selon l'équation zone rurale/zone urbaine n'est pas satisfaisante. On constate en effet que des critères d'ordre socio-économique ou de proximité à la frontière interviennent largement dans le maintien de cette langue. On notera à ce sujet que la langue francique a été depuis longtemps le ciment de l'intégration sociale. La langue de la mine - et de la cour de récréation ! - et que les ouvriers et leurs enfants ont été longtemps plattophones avant d'être francophones." (BORTIGNON).

"Cette vivacité du francique, langue du travail, langue de la famille et de la communauté est paradoxalement compensée par une faible fierté identitaire des locuteurs. Aujourd'hui encore et malgré le formidable travail d'information des associations, (…) il n'est pas rare d'entendre "c'est un patois", "c'est du mauvais allemand" dans la bouche de ceux-là même qui transmettent cette culture vivante. (…) Sont aujourd'hui nécessaires en Lorraine : 1. La reconnaissance du francique comme langue régionale de France et langue de communication dans l'espace transfrontalier. (…)
2. On intégrera l'enseignement du francique en zone dialectale dans les écoles maternelles et le passage progressif à l'allemand à partir du C.P." (ATAMANIUK)

Le luxembourgeois est le dialecte germanophone le plus menacé en Moselle. La majorité des enfants en âge de fréquenter les écoles maternelles et primaires ne le parlent plus, et Wéi laang nach ?.. craint que dans une génération, le luxembourgeois aura disparu dans la région thionvilloise si rien n'est entrepris pour son apprentissage.
Bien que le ministère de l'Education nationale ait confirmé que la circulaire Savary était applicable au Platt, le Rectorat considère toujours que la langue régionale est l'allemand, qui bénéficie ainsi des mesures de cette circulaire au détriment du Platt. En 1991, le Tribunal administratif de Strasbourg a pourtant condamné pour excès de pouvoir le recteur de l'Académie de Nancy-Metz qui voulait en 1986 substituer l'allemand au luxembourgeois pour le Certificat d'Aptitude aux Fonctions d'Instituteur Maître Formateur spécialisé en langues et culture régionales. En 1986, l'option Langues et cultures régionales au baccalauréat est devenue Langue et culture des pays mosellans. Depuis 1992, il existe un programme spécifique en Moselle, comprenant des notions linguistiques, historiques, géographiques et littéraires.
En 1995, près de 500 familles ont réclamé l'enseignement du luxembourgeois en maternelle et primaire dans le canton de Sierck. Pour l'année scolaire 1997-1998, 10% de ces élèves en bénéficiaient déjà, au collège de Sierck et dans trois écoles du secteur (initiation au luxembourgeois à l'école élémentaire, à Ritzing et à Launstroff). A l'école maternelle La Fontaine de Thionville, 38 élèves bénéficient de 2 séances hebdomadaires d'initiation au luxembourgeois. Certains lycées de Thionville prodiguent des cours de luxembourgeois. L'école maternelle de Koenigsmacker a également démarré une sensibilisation au luxembourgeois.

Le 16 mai 2004, le linguiste Albert Hudlett de la Faculté de Mulhouse et une quarantaine de plattophones se sont réunis à Saint-Avold afin de rédiger une charte sur l'harmonisation des graphies des différents platts. Ecrire un son de la même manière de Thionville à Bitche, tout en respectant les spécificités locales, tel était l'objectif de ce symposium. Un travail similaire avait été effectué en Alsace l'an dernier. Albert Hudlett souhaiterait ensuite harmoniser l'alémanique et le francique. Je n'ai pas vu le document final de cette journée de travail, mais j'espère que n'aura pas été omis le fait que le platt du Pays Thionvillois a déjà son orthographe, celui de la langue officielle du Grand-Duché. Ne pas en tenir compte, ce serait ne pas profiter de l'immense avantage qu'est l'existence, parmi nos dialectes, d'une langue reconnue au niveau européen. Par ailleurs, pourquoi vouloir harmoniser l'orthographe des deux entités différentes que sont l'alsacien et le platt lorrain ? Personne ne songerait unifier l'orthographe du portugais, de l'espagnol et du catalan !

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LE PLATT EN MOSELLE AUJOURD'HUI

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