le signe du Placard et l'homme blessé au Pech-Merle  (relevé M. Lorblanchet)
les signes à cheminée de Lascaux
figurine féminine de Dolni Vestonice
rare association : seins et phallus. Dolni Vestonice
inscription de La Pasiega
signe en accolade. Altamira
signe en accolade. El Castillo
le signe du Placard à Cougnac
l'homme blessé de Cougnac
chevaux et signes au Placard
l'homme blessé de Lascaux
Le Premier "Cheval chinois" du Diverticule axial
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les deux fantômes de Cougnac
signes claviformes
signes tectiformes
signe corniforme de la Vallée des Merveilles
signe corniforme de la Vallée des Merveilles
chauves-souris en  pierre polie ; 600 à 1600 de notre ère
pendentif (chauve-souris) entre 100 avant JC et 100 après JC
pendant d'oreille en forme de chauve-souris ; 400 à 1250 de notre ère
Les signes de type Placard dans l'art préhistorique

Les grottes préhistoriques ornées sont surtout célèbres pour les magnifiques animaux qu'ont peints nos ancêtres. Et maintenant que les grottes de Lascaux et d'Altamira sont fermées au public, et qu'il n'a pas accès à la grotte Chauvet ou à la grotte Cosquer découvertes dans les années 1990, il est indispensable que les amoureux de l'art paléolithique aillent admirer ces deux autres joyaux que sont les grottes de Niaux (Ariège) et du Pech-Merle (Lot).

De quand date l'art préhistorique ?
L'art semble avoir débuté par la fabrication de décorations corporelles (perles, pendentifs), il y a 40 000 ans en Europe, et quelques dizaines de millénaires plus tôt en Afrique. Ce n'est qu'il y a 30 ou 35 000 ans qu'en plusieurs endroits du monde (Afrique, Australie, Eurasie) apparaissent la sculpture et l'art rupestre.

Qui est l'artiste préhistorique ?
En dehors des pendentifs de la culture châtelperronnienne et du masque de pierre de la Roche-Cotard, qui sont des produits de l'Homme de Neandertal, toutes les autres œuvres artistiques connues de la préhistoire sont le fruit de l'Homme moderne. Plusieurs civilisations se sont succédées (ou chevauchées) tout au long de la longue période appelée Paléolithique supérieur (de 40 000 avant le présent à 10 000 avant le présent) : atérienne, stillbayenne (Afrique), de Ngandong, de l'Ordos, de l'Angara (Asie), aurignacienne, pavlovienne, magdalénienne (Europe), etc.

Que dessine l'artiste préhistorique ?
L'art préhistorique a conservé un même schéma global durant tout le Paléolithique. L'Homme a dessiné, peint et gravé des animaux, des hommes et des signes. Une des constantes de cet art est d'être en partie localisé dans les profondeurs des grottes, là où l'Homme n'habitait pas. Il vivait en effet dans des huttes hors des grottes ou parfois protégées à l'entrée des grottes. Il gravait parfois sur les parois extérieures et à l'entrée des grottes. Mais surtout il allait, pendant 30 000 ans, dessiner et graver dans l'obscurité, à plusieurs centaines de mètres de l'entrée, éclairé seulement par des torches ou des lampes à graisse peu efficaces. Il a dessiné, parfois avec un art extraordinaire, de nombreux animaux : des dangereux, qu'il ne chassait pas, et aussi des moins dangereux. Il a quelquefois dessiné, ou plutôt esquissé, des êtres humains, et des morceaux d'humains (mains, profils, silhouettes). Et aussi des êtres composites, mi-animaux, mi-humains : ils sont rares mais intéressants. Enfin, et surtout, l'Homme préhistorique a peint ou gravé des signes. C'est ce qu'il a laissé en plus grand nombre.

Pourquoi l'art ?
On a d'abord pensé que l'objectif était purement esthétique : l'art pour l'art ! Mais pourquoi alors cacher ses œuvres dans les profondeurs de la terre ? D'autres ont émis l'hypothèse du totémisme : mais les ancêtres mythiques animaux auraient alors toujours été représentés sous la même forme, ce qui n'est pas le cas. Puis certains, comme l'abbé Henri Breuil, ont développé la thèse de la magie de la chasse. Mais il est prouvé que nulle part ce soit l'animal le plus chassé qui soit le plus représenté… Délaissant le pourquoi, André Leroi-Gourhan a voulu expliqué le comment : il a montré que les œuvres paléolithiques ont toujours une même structure dans leur élaboration ( tel animal à l'entrée, tel autre plus en profondeur, celui-ci toujours ou souvent associé avec celui-là, …), en relation avec le contenu mythologique que transmet l'art préhistorique. Enfin, récemment, Jean Clottes a de nouveau proposé une origine chamanique des œuvres d'art paléolithiques.

Les signes.
Les très nombreux signes peuvent être regroupés en plusieurs types. Citons pour l'Europe, des plus simples aux plus construits : les points et groupes de points, les bâtonnets et tirets, les signes angulaires, les signes barbelés, les signes en crochet, les signes ovales, les signes triangulaires, les signes quadrangulaires, les signes éléviformes, les signes claviformes, les signes en accolade ( { ) , les signes tectiformes (en forme de toit) et les signes aviformes (en forme d'oiseau). Ces signes représentent des faits ou des mythologies connus de l'Atlantique à l'Oural. Certains signes identiques se retrouvent à des centaines de kilomètres les uns des autres : ainsi les signes claviformes existent-ils en Ariège (Le Portel, grotte des Trois-Frères, Niaux, Le Tuc-d'Audoubert et Fontanet) mais aussi à Lascaux (Périgord) et en Espagne (Le Cullalvera en Cantabrique et à Píndal dans les Asturies).

Les signes de type Placard.
De même, des signes qu'on a d'abord cru spécifiques du Lot ont été découverts jusqu'à 500 km de là : les signes de type Placard sont aujourd'hui connus dans la grotte du Pech-Merle (Lot), de Cougnac (Lot), du Placard (Charente) et dans la grotte Cosquer (Bouches-du-Rhône). Deux signes de la grotte de Lascaux leur ressemblent fortement. Ce signe a été diversement décrit : tectiforme, aviforme, en accolade, à cheminée, en forme d'albatros. Jean Clottes les appelle signes de type Placard pour trois raisons : parce que c'est dans la grotte du Placard qu'ils sont les plus nombreux et les mieux datés, et afin que la terminologie reste descriptive sans tenter d'expliquer la signification du signe.

Datation.
Dans la grotte du Placard, les signes ont été gravés dans un niveau archéologique dans lequel ont été découverts des outils de la civilisation solutréenne. Un os brûlé fiché dans une anfractuosité au-dessus de gravures a été daté par la technique du carbone 14 à 19970 BP (19970 avant le présent), ce qui confirme leur attribution au Solutréen. Combier trouve des affinités entre les deux grottes du Lot et la grotte de la Tête du Lion qui est datée de 21600 BP (mais Leroi-Gourhan et Michel Lorblanchet estiment que les deux grottes du Lot sont plus récentes que Le Placard). Enfin, les œuvres de la grotte Cosquer datent de deux périodes, dont l'une (19000 à 18000 BP) correspond aux dates des autres signes du Placard. Toutes ces dates concordent donc pour dater notre signe du début ou du milieu du Solutréen, autour de 20000 BP. Il subsiste le problème de Lascaux : le carbone 14 donne quatre dates : 15500, 16000, 17200 et récemment 18600 BP. Les dernières analyses stylistiques comparatives attribuent les productions de Lascaux à la fin du Solutréen (Norbert Aujoulat), ce qui est en faveur du rapprochement des deux signes de Lascaux avec les signes de type Placard.

Les signes du Placard à Lascaux ?
Les deux " signes à cheminée " de Lascaux, le premier (signe A ci-contre) dans la salle dite " l'Abside ", le second (signe B) dans le " Diverticule axial ", sont-ils des signes de type Placard ? Les arguments en faveur de cette hypothèse sont la forme générale des signes avec leur cheminée centrale (Denis Vialou, Norbert Aujoulat), l'existence d'une représentation d'un homme blessé à tête d'oiseau dans le " Puits " de Lascaux (Thierry Koltes, ci-contre), et l'association d'un des signes avec un cheval (Koltes, ci-contre). Les arguments opposés sont que le premier signe n'a pas été tracé en une seule fois (Aujoulat) et que le second est différent des autres signes du Placard par sa taille, sa forme générale et la technique utilisée (Clottes) ; la datation n'infirme plus l'hypothèse depuis qu'un fragment de sagaie trouvé par Breuil au pied de la Scène du Puits a été daté en 1998 à 18600 BP. La spécificité, la rareté et l'originalité des signes de type Placard incitent Leroi-Gourhan et Clottes à donner aux signes du Placard une extension modérée dans le temps : seulement "quelques générations (une seule peut-être)" dit Leroi-Gourhan.

Que nous apprennent ces signes ?
La spécificité, la rareté et l'originalité des signes de type Placard nous assurent qu'il s'agit bien du même signe que l'on retrouve au Pech-Merle, à Cougnac, au Placard et à Cosquer. On apprend ainsi que les signes peuvent circuler sur de très grandes distances, à l'instar des techniques et des sculptures. Mais sont-ils les produits d'un artiste unique, ou d'une seule tribu, ou d'une même culture ? Son extension est-elle due à la migration de ses créateurs, ou alors fut-il transmis à une tribu par une autre ?

Que racontent ces signes ?
Au Pech-Merle, un signe du Placard surmonte un homme à tête d'oiseau transpercé de plusieurs traits. A Cougnac, la paroi de la grotte comprend onze signes du Placard à une extrémité et, plus loin, le dessin de deux hommes (l'un à tête d'oiseau) percés de traits. La grotte Cosquer contient elle aussi la gravure d'un homme blessé. A Lascaux, on l'a vu, il y a également une représentation d'un homme blessé à tête d'oiseau. Ce thème est assez rare pour ne pas être par hasard associé aux signes de type Placard. Dans la grotte du Placard, les signes sont associés à des animaux, principalement des chevaux (cf. le cheval de Lascaux). Quelle histoire racontent ces associations de dessins ? Quels sont les thèmes, les concepts, les croyances contenus dans ces signes ? Que peut-on retracer des rituels observés au fond des grottes ? Au moins une certitude : la stalagmite située devant le second homme blessé de Cougnac a très souvent servi d'instrument à percussion et en a gardé la trace. Cougnac fut un lieu de culte très fréquenté. Le Pech-Merle par contre fut un sanctuaire qui ne reçut que de rares visiteurs. On peut ajouter que les signes du Placard ne sont pas l'apanage exclusif de tels endroits sacrés, puisqu'au Placard, ils décorent le lieu d'habitat. Nous connaissons ce phénomène encore à notre époque, puisque les symboles religieux ne se limitent pas à la décoration des temples et des églises, mais s'observent également dans les demeures des croyants.

Les signes du Placard et les signes similaires*.
Christian Züchner a mis ci-dessus en évidence la ressemblance entre plusieurs signes : les signes en forme de papillon ou d'oiseau de la grotte Chauvet (31000 BP ?*), le signe en forme de seins ou de cœur du Portel, les deux bas-reliefs de Roc de Vézac (Dordogne) et les pendentifs gravettiens en ivoire de Dolní Vestonice (Moravie). En plus, au moins l'un des signes de Chauvet se rapproche des tracés rouges de La Pasiega (Nord de l'Espagne). Pour Züchner, les " papillons " de Chauvet sont peut-être les prédécesseurs* réalistes des signes de type Placard. Il est indéniable que la forme générale des "papillons" de Chauvet rappelle les signes de type Placard. Mais c'est également le cas d'un magnifique pendentif de Dolní Vestonice qui selon Vialou est un exemple exceptionnel de l'association de symboles des deux sexes (ci-contre). Je trouve que parmi les signes à rapprocher de ceux du Placard, il ne faut oublier ni les signes en accolade peints à Altamira et à El Castillo, ni l'étonnante "inscription" découverte dans la grotte de La Pasiega. J'observe également que les deux cercles échancrés en bas-relief de Vézac sont semblables à trois disques échancrés présents au Pech-Merle, comme si tous ces lieux avaient plus d'un point commun. Dépassant le cadre du Paléolithique, Paul Tréhin a noté la ressemblance des signes du Placard avec les signes corniformes de la Vallée des Merveilles (région du Mont Bégo, Alpes-Maritimes) datant de l'âge du Bronze et représentant des bovidés (Henry de Lumley) ou des personnages en position d'orant. Zaf nous rapporte quant à lui des représentations de chauves-souris datant de 100 av. J.-C. à 1600 apr. J.-C. et évoquant les signes du Placard et les aviformes.

L'hypothèse sexuelle.
Pour Leroi-Gourhan, les signes en accolade (comme il appelait les signes de type Placard) sont des signes bêta, qu'il a initialement fait correspondre au sexe féminin, dont des équivalents sont les dessins de blessures. Les traits, notamment ceux qui traversent les hommes blessés que nous avons observés, sont des signes alpha, masculins. L'association des signes du Placard et des traits blessant les hommes renouvellerait ainsi la dyade alpha-bêta de Leroi-Gourhan. Parmi les signes qui ressemblent le plus aux "papillons" de Chauvet, j'ai noté que plusieurs sont des signes féminins : les figurines de Dolní Vestonice représentant des femmes et des seins, le signe en forme de seins de la grotte du Portel. A moins que ces pendentifs unissent les symboles des deux sexes. Züchner précise cependant que " la pensée paléolithique est bien plus complexe qu'une dyade masculin - féminin, et affirmer que les signes du Placard ne représentent que la féminité ne serait qu'une partie de la vérité. "

En conclusion (temporaire…)
Les études actuelles sur l'art paléolithique sont plus prudentes et moins dogmatiques qu'au siècle dernier. Elles se contentent souvent d'être descriptives, mais avec précision et exhaustivité. Nous retiendrons donc surtout les associations du signe du Placard avec le thème de l'homme blessé (souvent à tête d'oiseau) et avec le dessin du cheval ; si les signes alpha et bêta ne sont pas sexuels, ils sont cependant à renvoyer à l'association du signe du Placard avec l'homme blessé. Je relève également la ressemblance du signe du Placard avec les silhouettes des hommes-fantômes de Cougnac. Enfin, je ne peux m'empêcher de relever la coïncidence sémantique des têtes d'oiseau et des signes aviformes (en forme d'oiseau).

Résumé
Plusieurs groupes géographiquement éloignés, certainement des Solutréens, ont peint et gravé un signe mystérieux depuis la Charente jusqu'à la côte méditerranéenne. Ce signe a peut-être été reproduit pendant un à trente siècles. Il constitue peut-être une réminiscence de figures plus réalistes remontant à l'Aurignacien*. Il démontre que des groupes différents vivant sur des territoires distants de plusieurs centaines de kilomètres ont entretenu des relations plus ou moins suivies. La signification de ce signe, peut-être féminin ou bisexué, parfois associé à des chevaux ou à des humains en danger, et dessiné aussi bien dans des habitats que dans des sanctuaires, restera sans doute à jamais inconnue.

BIBLIOGRAPHIE

[ *Même s'il leur trouve des similitudes morphologiques et chronologiques, Züchner distingue cependant le groupe de type Placard des autres types de signes (Chauvet, Le Portel, La Pasiega etc.). Selon lui, "tous ces signes datent de la fin du Gravettien, du Solutréen surtout, et du Badegoulien. Aucun n'est en tout cas postérieur au Magdalénien III." La date aurignacienne de 31 000 BP attribuée à Chauvet concerne-t-elle aussi les papillons ou ceux-ci sont-ils plus récents ?]